(Sud Ouest) ETA : « Récupérer les armes sans tomber dans l’illégalité »

21/10/2014

Pour l’ancien patron d’Interpol, Raymond Kendall, l’accord de Madrid est indispensable pour avancer dans le désarmement.

À 81 ans, Raymond Kendall a passé la moitié de sa vie à travailler pour les services secrets, d’abord à Scotland Yard (1962-1986) puis à Interpol (1985-2000). © PHOTO PHOTO AFP/RAFA RIVAS

À 81 ans, Raymond Kendall a passé la moitié de sa vie à travailler pour les services secrets, d’abord à Scotland Yard (1962-1986) puis à Interpol (1985-2000).
© PHOTO PHOTO AFP/RAFA RIVAS

Publié , modifié par Pantxika Delobel

est un processus lent et parfois ingrat. Le Britannique Raymond Kendall, 81 ans, engagé dans la résolution du conflit basque depuis 2009, tâche d’en apprécier chaque étape à sa juste valeur. Sans se laisser influencer par les considérations politiques. Et sans mâcher ses mots. L’ancien patron d’Interpol, membre fondateur du Groupe international de contact (GIC) mené par l’avocat sud-africain Brian Currin, sera de retour au Pays basque en fin de semaine pour essayer de restaurer le dialogue entre les différentes parties.

« Sud Ouest ». Comment avez-vous été amené à rejoindre le GIC ?

Raymond Kendall. Cela remonte à 5 ans. La fondation non gouvernementale pour laquelle je travaillais bénévolement m’a demandé de me rendre au Pays basque. À vrai dire, je ne pensais pas que cette affaire donnerait grand-chose. Mais cela me plaisait de travailler aux côtés de Brian Currin. C’est un homme brillant qui a vécu des expériences similaires en Afrique du Sud et en Irlande du Nord. Il paraissait avoir la motivation nécessaire pour réussir.

Où en est votre mission ?

La situation est assez compliquée. La principale difficulté est que Madrid et Paris ne veulent rien savoir concernant ETA. Il n’y a aucune possibilité de discussion, officielle ou non. Le deuxième problème est que le Pays basque est partagé entre deux pays. L’attitude vis-à-vis de ce processus est très différente d’une rive à l’autre de la Bidassoa. Côté espagnol, on trouve beaucoup de journaux qui traitent tous les jours ce problème. Du coup, les partis s’en servent à des fins politiques. Par chance aujourd’hui, ils arrivent à se parler. Mais nous avons dû les y forcer.

Que savez-vous du désarmement ?

La dernière déclaration d’ETA relative à cela date de juillet dernier. Ce qui est intéressant, c’est qu’ils commencent à parler comme une organisation démocratique. Mais l’absence de réponse des gouvernements les agace. J’espère que la frustration ne les poussera pas à reprendre les armes. Ce n’est pas à l’ordre du jour mais les gouvernements devraient en tenir compte.

Comment ETA peut se désarmer sans les gouvernements ?

C’est un gros problème. Nous avons essayé de prendre contact avec les différents États mais à chaque fois, nous nous sommes retrouvés face à un mur. Ils refusent même de reconnaître notre existence. Mais l’intérêt des Français sur ces questions est moindre que pour les Espagnols, voilà pourquoi nous voulons faire bouger Paris. La France n’aime pas être attaquée sur le plan international. Alors si elle est associée à l’Espagne en ce qui concerne le traitement des prisonniers, cela pourrait précipiter les choses.

Dans quelles conditions vivent les militants clandestins ?

Ils n’ont pas d’existence officielle. Ils savent que les services secrets les surveillent, mais sans les arrêter pour autant. Lorsqu’il y a des interpellations sur le sol français, l’ordre semble venir de Madrid. L’antiterrorisme sert souvent à détourner l’attention…

Alors comment rendre les armes ?

Comment et à qui ? Il y a toute une procédure à mettre en place pour démilitariser une organisation comme ETA. Notre groupe a créé pour cela la Commission internationale de vérification (CIV), mais elle non plus n’est pas reconnue par les gouvernements. Comment cette dernière pourrait donc récupérer les armes sans tomber dans l’illégalité ? Seule la pression internationale peut obliger Paris et Madrid à changer d’attitude.

Le pas de désarmement de février dernier (1) vous a convaincu ?

Quand j’ai vu les armes présentées, je me suis dit : « C’est une blague, ou quoi ? » Nous savons que ce qu’ETA a montré ne représente rien en matière de puissance armée. On aurait dit que tout cela était improvisé ! Je me demande pourquoi ils ont fait cela.

Comprenez-vous que la CIV ait cautionné cela ?

Elle était tributaire de la situation. Tant que Madrid ne veut pas entrer dans le processus de désarmement, nous ne pouvons rien faire. Moi j’hésiterais à faire quelque chose de ma propre initiative sans l’accord de l’Espagne. En Irlande, durant la phase de démilitarisation, le gouvernement central avait donné des consignes pour ne pas interpeller les militants qui transportaient les armes. Ici cette possibilité n’existe pas.

(1) Le 21 février, la CIV rend compte du premier pas de désarmement d’ETA, mais au regard de l’infime quantité d’armes présentées, certains ont trouvé ce geste grotesque.

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