(Sud Ouest) Pays basque : il y a trois ans, ETA baissait les armes

17/10/2014

Trois ans après la venue du prix Nobel Kofi Annan et la fin de la lutte armée, Paris et Madrid refusent toujours le dialogue avec ETA.

De gauche à droite, sur le perron de l’ancienne résidence d’été de Franco, le palacio Aiete de Saint-Sébastien, le 17 novembre 2011 : Gerry Adams, Gro Harlem Brundtland, Bertie Ahern, Kofi Annan, Pierre Joxe et Jonathan Powell. © PHOTO PHOTO « DIARIO VASCO »

De gauche à droite, sur le perron de l’ancienne résidence d’été de Franco, le palacio Aiete de Saint-Sébastien, le 17 novembre 2011 : Gerry Adams, Gro Harlem Brundtland, Bertie Ahern, Kofi Annan, Pierre Joxe et Jonathan Powell.
© PHOTO PHOTO « DIARIO VASCO »

 

Publié , modifié par Pantxika Delobel

Un jour, dans les manuels d’histoire, on parlera peut-être du « conflit basque ». De la naissance d’ETA en 1959, comme terrible héritage d’une révolte largement partagée contre le régime franquiste, à son escalade vers une lutte sanglante et acharnée pour l’indépendance du Pays basque. Un récit dans lequel chaque camp compte ses morts par centaines : victimes de la lutte armée ou de la répression policière.

Mais ce cycle de violence s’est arrêté il y a trois ans. L’organisation séparatiste décide alors de faire taire ses armes. Comme prélude à cette annonce tombée le 20 octobre 2011, une grande conférence pour la paix se tenait trois jours plus tôt à Saint-Sébastien. Ce 17 octobre, Kofi Annan, ancien secrétaire général des Nations unies et prix Nobel de la paix en 2001, apparaît sur le perron du palais d’Aiete. Située au sommet d’un parc boisé, cette demeure n’est autre que l’ancienne résidence d’été du général Franco. Dans ce cadre hautement symbolique, cinq autres médiateurs internationaux en costume sombre accompagnent le Ghanéen : les anciens ministres français, irlandais et norvégien, Pierre Joxe, Bertie Ahern et Gro Harlem Brundtland, l’ex-leader du Parti nationaliste irlandais, Gerry Adams, et Jonathan Powell, ex-chef de cabinet de Tony Blair.

« Vingt ans de travail »

Jamais autant de personnalités ne s’étaient engagées dans ce conflit. « J’ai vu Kofi Annan s’approcher de moi, puis je l’ai salué », se souvient le Biscayen Paul Rios, porte-parole du mouvement citoyen Lokarri (Le Nœud), à l’origine de cette conférence. « Il y avait quelque chose d’irréel dans l’air, poursuit-il. Nous étions tous impressionnés et pourtant, cette table ronde était la concrétisation de vingt années de travail au sein de la société civile. Nous cherchions à tout prix à créer un espace de dialogue entre tous les acteurs politiques et sociaux. Car il y a des questions dont ils doivent se saisir : le rapprochement des prisonniers basques, la reconnaissance des victimes, la reconstruction de la société. »

Mais toutes les tentatives de Lokarri s’étaient jusque-là soldées par des échecs. Jusqu’à cette journée sur les hauteurs de Saint-Sébastien. Une cinquantaine de représentants politiques et syndicaux venus des deux bords de la Bidassoa prennent acte des recommandations du groupe d’experts. Seule la droite espagnole du Parti populaire (PP) a décliné l’invitation.

Le centriste Jean-René Etchegaray, qui n’était pas encore maire de Bayonne, n’hésite pas à se mouiller. « Ce n’était pas évident, je représentais “la caution centre droit” de la France, mais j’ai fait prévaloir ce qui était mon sentiment personnel. »

Des représentants locaux de l’UMP, du PS et du Modem, dont certains peu mobilisés jusque-là sur ces questions, feront de même. « Cette conférence était d’abord un sentiment de délivrance, un grand espoir de paix. Des personnalités, dont on connaissait l’expérience en matière de résolution de conflits, venaient apporter un regard extérieur au conflit basque. Et nous en avions bien besoin », reconnaît l’édile bayonnais.

« L’ ETA est affaibli »

Ce 17 octobre à Saint-Sébastien, les médiateurs demandent à ETA d’abandonner les armes, et aux gouvernements espagnol et français de s’engager dans le processus de paix. Trois jours plus tard, l’organisation déclare la fin de quarante ans de lutte armée. La réponse de Paris et de Madrid, elle, se fait toujours attendre.

Les origines de cet adieu aux armes remontent au lendemain de la trêve avortée en 2006-2007. La gauche radicale abertzale (patriote), qui n’avait jamais condamné la violence, cède à la pression populaire et entame un changement de stratégie radical. La justice espagnole n’a plus de raison d’interdire le mouvement.

Après une décennie d’absence des institutions publiques, son nouveau parti, Sortu, obtient des postes clefs, comme la mairie de Saint-Sébastien ou la province du Guipuzcoa. Les indépendantistes deviennent la deuxième force du Parlement d’Euskadi.

Tout ceci conduit Paul Rios à dire, sans crainte, que le processus est irréversible. « La gauche abertzale est contre la violence. D’autre part, ETA, même si elle existe encore, est considérablement affaiblie. Et personne n’accepterait un retour en arrière, ni les médiateurs internationaux qui se sont impliqués ni la société. Maintenant, reste à savoir comment tourner définitivement la page de ce conflit. » Le « facilitateur » s’interroge, sans pouvoir apporter de réponse.

Le processus dans l’impasse

Car le processus semble de nouveau dans l’impasse. Le PP au pouvoir à Madrid reste inflexible. En apparence du moins. D’autant qu’en l’absence d’attentat, le terrorisme basque n’est plus une priorité, à l’inverse de la crise économique, des scandales de corruption et du référendum en Catalogne. L’État français, quant à lui, continue de s’aligner sur son voisin, comme il l’a toujours fait. Le Premier ministre, Manuel Valls, semble y mettre un point d’honneur.

L’autre inquiétude vient du dialogue entre les partis politiques du Pays basque espagnol. Il est rompu depuis plusieurs mois. Un rafraîchissement notamment lié aux échéances électorales qui approchent à grands pas : mai prochain pour les municipales et provinciales.

« Tous ces politiciens devraient se remettre en question, déplore Paul Rios. Pourquoi est-il impossible d’avoir un espace de discussion alors que tous les partis peuvent désormais participer et que la violence a disparu ? Ils devraient faire un effort, se dire que la vie ne s’arrête pas après un scrutin électoral. » Le processus de paix non plus.

 

Comments are closed.