Séminaire : « Les prisonniers et le processus de paix »

2016 – Sorbonne

Co-organisé avec Joana Etchart (Université Paris-Sorbonne, Groupe de recherche MAPS/HDEA EA 4086)

IMG_4175

 

 

Le 27 janvier 2016, avait lieu un séminaire intitulé « Les prisonniers et le processus de paix » à l’Université Paris Sorbonne.

 

Organisé par Joana Etchart (Université Paris-Sorbonne, Groupe de recherche MAPS/HDEA EA 4086) et Bake Bidea (Mouvement civil en faveur du processus de paix), en partenariat avec des chercheurs de l’Institut d’Etudes Irlandaises (Institute of Irish Studies, University of Liverpool), le séminaire s’est intéressé à la question des prisonniers dans le processus de paix, à leur statut et au rôle qu’ils peuvent jouer dans la transition du conflit à la paix.

 

Les intervenant.e.s étaient:

 

Kieran McEVOY, Professeur de Droit de l’Université de Belfast (Queens University Belfast)
Nicolas FERRAN, Juriste à l’Observatoire International des Prisons (OIP)
Xantiana CACHENAUT, Avocate au Barreau de Bayonne
Gabi MOUESCA, Ancien prisonnier, Ancien président de l’OIP
Joana HARAMBOURE, Fille d’un prisonnier incarcéré depuis plus de 25 ans

 

Les modérateurs étaient Joana Etchart (MCF Paris-Sorbonne) et Serge Portelli (magistrat).

 

Il s’agissait de procéder à une étude comparative entre l’Irlande du Nord et le Pays Basque, en ce qui concerne les enjeux, écueils et perspectives des processus de paix. Le séminaire souhaitait ouvrir un dialogue entre experts et acteurs issus des contextes nord-irlandais, français et basques afin de s’interroger sur les enjeux et les écueils liés à la question des prisonniers dans le processus de paix. Il s’agissait également de tenter d’identifier les perspectives qui se dessinent dans les deux situations en Irlande du Nord et au Pays Basque.

 

L’apport de l’expérience irlandaise

 

En Irlande du Nord, cette question a représenté un enjeu important avant et après la signature des accords de paix de 1998, qui avaient placé la libération des prisonniers loyalistes et républicains au cœur de la stratégie de transition. La partie consacrée aux prisonniers insistait également sur l’importance de la réintégration et de l’inclusion civique des anciens prisonniers, un rôle actif également promu par l’Union européenne à travers les programmes PEACE.

Le séminaire s’est intéressé à l’émergence de cette approche ainsi qu’à son évolution depuis 1998.

Selon Kieran McEVOY, professeur de Droit de l’Université de Belfast (Queens University Belfast), les prisons ont été un élément clé pratique et symbolique du conflit. Il a rappelé que 30,000 personnes environ ont été emprisonnées entre 1969 et 1998.  Les prisonnier-e-s et ex-prisonnier-e-s ont joué un rôle clé dans l’évolution de l’IRA et des Loyalistes vers la non-violence

 

 La question des prisonnier-e-s politiques au Pays Basque

Les prisonnier-e-s et le droit

 En ce qui concerne la situation des prisonniers basques, Nicolas Ferran, docteur en Droit et assistant juridique de l’OIP a présenté un exposé sur l’état du droit en France vis-à-vis du rapprochement familial des détenus : aucune loi ne semble prévoir le rapprochement familial.

Il ajoute que dans le droit commun, l’Administration pénitentiaire est la seule habilitée à décider du lieu de privation, sans aucune possibilité de recours. Seules des  décisions de la Cours Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) à venir pourraient faire jurisprudence, et “contraindre les États à modifier leur approche sur la question du rapprochement familial”.

Selon Maître Xantiana Cachenaut, intervenant en qualité d’avocate au Barreau de Bayonne, a mis en perspective la question de l’éloignement des prisonnier-e-s politiques basques avec la situation politique au Pays Basque. Elle note, malgré le changement politique qui s’opère depuis 2011, un renforcement des mesures d’éloignement. Elle ajoute que face aux refus des demandes individuelles de rapprochement effectuées par les détenus basques ces derniers mois, elle a réalisé des recours auprès du tribunal administratif, qui pourraient en cas de rejet être présentés à la CEDH.

 

 

Les prisonnier-e-s politiques basques engagés en faveur du processus de paix

 

L’ancien prisonnier Gabi Mouesca est pour sa part intervenu au nom du Collectif des prisonniers politiques basques (EPPK) soulignant que “la question des prisonniers dans le processus de résolution est avant tout une question politique».

Gabi Mouesca a également rappelé les engagements du Collectif des prisonniers pour avancer dans la résolution du conflit, et notamment, la décision d’effectuer des demandes individuelles de rapprochement. De même, il ajoute que “le Collectif se définit comme un acteur dans le processus, un acteur de paix”. En ce sens, il a mis en lumière que le rapprochement permettrait aux prisonnier-e-s de participer plus aisément au processus de construction de la paix avec la société basque.

 

Enfin Gabi Mouesca a rappelé la décision du procureur de la République de faire appel de la décision de libération de Lorentxa Guimon, gravement atteinte de la maladie de Crohn, tout en décrivant cette décision comme « à rebours du sens de l’histoire au Pays Basque ».

 

L’éloignement appliqué aux prisonnier-e-s politiques basques : double peine pour les prisonnier-e-s et leur famille

 La dernière intervention du séminaire a été le témoignage de Joana Haramboure, fille de Frederik Haranburu “Txistor” incarcéré depuis plus de 25 ans.

Elle a transmis à l’auditoire son vécu quotidien, son ressenti d’enfant puis de mère de deux enfants, confrontée au défi de maintenir des liens avec son propre père, ainsi que ceux de ses propres enfants avec leur grand-père et ce, malgré la pesanteur de l’éloignement, et le manque d’intimité et  l’insalubrité des parloirs. Elle rappelle l’impact que cette politique spécifique de dispersion a sur les prisonnier-e-s basques et sur leur famille et proches, et qu’il a fallu, par exemple, que sa mère soit gravement malade pour obtenir le rapprochement de son père de la ville d’Arles à celle de Lannemezan

 

En outre, elle affirme être fière, comme d’autres familles, de l’attitude dont témoignent ces militant-e-s incarcéré-e-s depuis des décennies. »

Enfin cela a été le tour de du magistrat Serge Portelli, de conclure en qualité de modérateur des discussions. Selon lui “il y a une volonté inébranlable du Pays Basque, des détenus eux-mêmes, d’aller vers un processus de paix”, et tôt ou tard, “ce gouvernement ou un autre devra en prendre acte”. Il a terminé en rappelant que “les processus de paix sont très longs » mais qu’« il ne faut surtout pas désespérer, il faut au contraire persévérer”.

 

Lorsque le temps des questions est venu, beaucoup de questions ont eu trait au contexte ou plutôt au changement de contexte opérant au Pays Basque. Elles reflétaient pour beaucoup le manque de connaissance relatif à ces évolutions et mettent en lumière l’importance de mener un travail de sensibilisation et d’information hors de notre territoire concernant les changements qui s’opèrent au Pays Basque et la nécessité de mener à bien le processus entamé.